Les souvenirs du tirailleur Bambara par Alpha Barry
(photo: Alpha Barry/RFI)
De notre correspondant au Burkina Faso
Pour Christophe Bambara, ce mois d’août 2004 n’annonçait rien d’exceptionnel. C’est la pleine saison agricole à Garango, son village situé à 200 km de Ouagadougou, dans le sud-est du Burkina. Depuis sa démobilisation de l'armée française en 1956, son programme à cette période de l’année se limite à l’entretien de ses champs.
Pour le vieux Bambara comme pour la plupart des anciens tirailleurs sénégalais encore vivants, les souvenirs de la deuxième guerre mondiale sont lointains. Le 60e anniversaire du débarquement de 1944 célébré cette année l’était tout autant. Du moins jusqu’au jour où il a reçu un message de l’ambassade de France à Ouagadougou l’invitant à participer à Toulon aux cérémonies officielles.
Le vieux soldat a du mal à le croire. Lui Christophe Bambara, invité par la République française à venir en France pour être décoré de la Légion d’honneur personnellement par le président français Jacques Chirac? C’est l’arrivée chez lui de l’équipe de reportage de RFI qui achèvera de le convaincre qu’il n’a pas rêvé.
Aussitôt ressurgissent les vieux souvenirs des 15 années passées sous le drapeau français. « J’ai été incorporé le 20 décembre 1941 à Tenkodogo », se souvient-il en nous présentant son carnet militaire. « Je ne sais pas lire mais vous pouvez vérifier », ajoute-il avec assurance. Sur les pages jaunies, on lit l’embarquement à Oran, les débarquements en Corse et en Provence, la guerre d’Indochine, celle de l’Algérie, etc. Une carrière bien remplie pour cet ancien soldat de première classe qui s’est battu sur tous les fronts avec l’armée française dans les années 40 et 50.
Les nombreuses médailles fièrement agrafées à la poitrine sont une autre preuve des états de service du soldat Bambara. Il n’a pas non plus oublié son chéchia rouge qu’il portait dans l’armée. Troué par endroits sans doute par le poids de l’âge, ce chéchia symbolise à ses yeux, par dessus tout, toute la vie d’ancien tirailleur. « On me l’a donné le jour de mon incorporation », précise –t-il.
Mais au delà des symboles, Christophe Bambara reste préoccupé par la question des pensions aux anciens combattants. « Ca ne suffit pas. Je gagne 50 000 CFA [environ 75 euros] par trimestre. Comment les partager entre mes neuf femmes. Je veux donc demander à Chirac d’augmenter la pension de tous les anciens combattants, africains comme européens », a lancé avec fracas le vieux Bambara dans un toast improvisé lors d’une réception chez l’ambassadeur de France.
Patriarche et chef de canton de Garango, Christophe Bambara n’a pas donné de grande fête pour son départ pour la France. Seuls quelques proches se sont rassemblés sous les deux baobabs géants qui se dressent à l’entrée de sa cour dans le vieux quartier. « La fête, ce sera au retour. Pour le moment, il me faut demander aux mânes des ancêtres de me protéger et me ramener en paix comme ils l’ont fait quand j’ai combattu en France, en Indochine et en Algérie », explique l’ancien combattant.
Avant de quitter les siens, il a consulté tous les gris-gris et fait le tour de la vaste concession pour s’incliner devant la tombe de tous ses prédécesseurs. Il s’attarde devant la petite case qui sert de mausolée au fondateur de Garango, fait des incantations dans la langue locale (bissa) avant d’y pénétrer pour une brève prière. « C’est le pouvoir de cet ancêtre qui m’a permis de revenir sain et sauf dans mon village en 1956 après mes quinze ans dans l’armée française. Je compte encore sur lui pour ce voyage », affirme Christophe Bambara.
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